La Résistance dans le Pas-de-Calais

En guise d’introduction…

La Résistance, dans notre département du Pas-de-Calais, a été un phénomène important. De l’invasion à la Libération, elle s’est exercée dans des conditions difficiles. La proximité de l’Angleterre explique que l’occupation allemande fut généralement lourde et contraignante. L’existence d’une population ouvrière et minière importante a provoqué une surveillance policière allemande étroite, secondée d’ailleurs efficacement par les services de Vichy. Le placement de la région en zone interdite, et la zone rouge du littoral, ont multiplié les frontières, et entravé les communications. Cependant, la Résistance fut d’emblée une nécessité, à cause peut-être de ces contingences, ne serait-ce que par le sauvetage des soldats alliés qui se trouvèrent constamment sur notre sol et aussi par le désir des Anglais d’obtenir des renseignements sur ce secteur si sensible. Enfin, les souvenirs de l’occupation de l’autre guerre nourrissaient un patriotisme au quotidien, véritable terreau dans lequel a pu s’enraciner dans le temps une Résistance diverse.

Une Résistance précoce

Dès l’été 1940, des groupes locaux viennent en aide aux Britanniques qui n’ont pas pu s’échapper par Dunkerque. Les plus déterminés de leurs hommes vont prendre en charge, dès la fin de l’été, leur rapatriement en zone non occupée, prémices des futurs réseaux d’évasion qui vont perdurer jusqu’à la fin de l’occupation, tels que Richard Cœur de Lion, Musée de l’Homme, Jean de Vienne, … Cette précocité s’exprime aussi par de nombreux sabotages de lignes téléphoniques, éventuellement de voies ferrées, souvent réprimés par les Allemands. D’autres s’impliquent dans la récupération d’armes et d’explosifs. Des gestes symboliques, comme le fleurissement des tombes de soldats alliés, les manifestations spontanées devant les monuments aux morts, l’accueil favorable réservé aux mots d’ordre gaullistes, indiquent clairement les sentiments anglophiles et gaullistes de la population. D’autres encore, en quête d’action résistante, se lancent, comme en 1914-1918, dans la propagande, par voie de tracts, de graffitis, et bientôt apparaissent les premiers journaux clandestins : les Petites Ailes du Nord, tout d’abord, puis la Vraie France et enfin la Voix du Nord en avril 1941. Dans le Boulonnais, la Résistance, isolée dans la zone rouge, s’organise dans le mouvement Patrie. D’autres encore, sensibles à l’appel du général de Gaulle, tentent de rejoindre l’Angleterre aux fins de s’engager dans la Résistance, dite extérieure, c’est-à-dire les Forces Françaises Libres. Ce mouvement, commencé dès l’été 1940, se poursuivra jusqu’au début de 1943. Des ressortissants du Pas-de-Calais combattront dans la marine, l’aviation, l’armée de terre, sur tous les champs de bataille du monde, en Afrique, en Europe, en Méditerranée, et dans l’Océan atlantique.

Les premières organisations de résistance

Le printemps 1941 voit l’émergence de premières organisations. L’évasion des soldats alliés, bientôt des aviateurs nombreux à tomber sur notre sol, est prise en charge par le réseau Garrow, qui devient Pat O’Leary, durement éprouvé par les arrestations de janvier et décembre 1941, puis du printemps 1943. Les services gaullistes de Londres mettent en place des réseaux de renseignements dont deux, au moins, ont été présents dans la région : le réseau Saint-Jacques, implanté sur le littoral, et surtout le réseau du colonel Rémy, Confrérie-Notre-Dame. L’invasion de l’Union Soviétique, le 22 juin 1941, libère les communistes, dont le parti entre pleinement dans la Résistance après la démonstration de la grande grève des mineurs de mai-juin 1941. Il s’organise en conséquence, en essayant d’agir par le moyen d’une presse nombreuse et diversifiée. L’action directe est aussi privilégiée par la multiplication des sabotages industriels et ferroviaires exécutés par les groupes de l’OSC devenus FTP au printemps. Le 11 avril 1942, a lieu, au Pont Césarine à Lens, le premier attentat contre des soldats allemands. La première génération de la Résistance communiste est durement réprimée, et décimée par les pelotons d’exécution. Le parti communiste est à l’origine du Front National pour l’Indépendance et la Liberté qui recrute largement dans les diverses couches de la population afin d’assurer une logistique adaptée et efficace à la résistance des FTP.

La Résistance se réorganise au gré des besoins et des coupes sombres

Le deuxième semestre de l’année 1942 se clôt par les premières défaites significatives de puissances de l’Axe : débarquement allié en Afrique du Nord, campagne victorieuse en Libye, à Stalingrad. La Résistance connaît alors un développement important par l’implantation des grands mouvements gaullistes. En premier lieu, l’Organisation Civile et Militaire (OCM), fondée à partir d’Arras en juillet 1942, organise, dans sa profondeur, la totalité du département du Pas-de-Calais, se structurant en secteurs et en groupes, touchant, à côté des milieux urbains, les zones rurales. Elle peut s’enraciner largement dans un terreau patriotique préparé par la presse clandestine, dans laquelle la Voix du Nord paraît jouer un rôle prépondérant. Cette action est multiforme : à côté de la propagande, on privilégie le renseignement et bientôt l’OCM va devenir le partenaire privilégié du BCRA de Londres, après la mission Arquebuse-Brumaire (février-avril 1943), où Passy et Brossolette tentent d’unifier la Résistance en zone occupée et rendre plus efficace son action. Les renseignements passent désormais par le réseau Centurie et la centrale Coligny. Avec le BOA, on prépare les parachutages d’armes et d’explosifs qui deviennent effectifs dans le deuxième semestre de 1943. Il s’agit en effet de préparer et d’armer l’armée secrète qu’il est prévu d’engager dans les combats de la Libération. Deux autres mouvements gaullistes sont présents plus modestement dans le Pas-de-Calais pendant cette même année 1943 : Voix du Nord continue de distiller, tant bien que mal, en dépit des arrestations et des coups durs, la bonne parole résistante, et Libé-Nord s’implante aussi, plutôt dans le terreau des militants socialistes, revigorés par les Comités d’Action Socialiste qui tiennent à s’écarter de la « gestion du malheur » dans laquelle se complaisent nombre de « caciques » de la SFIO. Dans la même mouvance, se tiennent des réseaux de renseignements comme Cohors-Asturies et Brutus.

Quant à la Résistance communiste, intégrée avec sa particularité dans l’unité résistante, elle est aussi en perpétuelle reconstruction, du moins dans ses groupes d’action. Elle peut puiser parmi ses nombreux militants, voire dans les relais proposés par le Front National. Elle continue de privilégier l’action directe, en dépit des coupes sombres qui la frappent constamment. Au-delà des sabotages, un peu moins nombreux, se multiplient les attentats à la personne contre les collaborateurs avérés, les actions contre les mairies pour se procurer, sinon de l’argent, du moins de précieux tickets de ravitaillement.

La Résistance gaulliste et communiste n’occupe pas tout le champ de la Résistance départementale. Après de démantèlement du réseau Pat O’Leary, l’évasion des aviateurs, de plus en plus nombreux à être récupérés sur notre sol avec l’intensification de la guerre aérienne, nécessite l’intervention d’autres filières qui sans cesse s’implantent : on note alors l’entrée en ligne des réseaux Bourgogne, Comète, Bordeaux-Loupiac, Shelburn et même Marie-Odile en 1944. Leurs membres sont généralement intégrés aussi dans les grands mouvements. Les réseaux de renseignements se multiplient de même, dont l’un des plus actifs est sans conteste Zéro-France, mais sur le territoire fonctionnent aussi les réseaux Manipule, Mithridate, Alliance, … Le bassin minier, riche de l’immigration polonaise, est propice à l’implantation du POWN, mouvement émanant du gouvernement polonais de Londres. Il recrute largement dans les corons qu’il essaie de structurer au mieux. Son activité principale réside dans le renseignement, par le biais de son réseau Monica, mais ne néglige en rien la recherche d’armes et d’explosifs et éventuellement le sabotage. Les services britanniques du SOE agissent aussi sur le territoire sensible de notre région, par le biais d’un de ses réseaux des plus actifs, Sylvestre-Farmer, dirigé par l’emblématique capitaine Michel. Dans le Pas-de-Calais, le réseau dispose de quelques éléments sur Aire-sur-la-Lys, mais surtout en Arrageois pour la réception de parachutages, essentiels pour les grands sabotages réalisés alors en région lilloise.

Une Résistance très éprouvée à réorganiser en vue de la Libération

 Au début de 1944, à l’aube de la Libération, la Résistance est en voie d’unification, mais elle est aussi à reconstruire. Qu’on en juge ! Normalement, la Résistance, à travers ses divers mouvements a été unifiée par Jean Moulin autour du Conseil National de la Résistance, installé en mai 1943, et du général de Gaulle. Au plan pratique, cela se traduit par la présence sur le territoire de la région A, dont depuis le printemps 1943 dépend théoriquement le Pas-de-Calais, de délégués militaires régionaux et départementaux, de radios et d’instructeurs. Leur rôle est de coordonner l’action de la Résistance et d’appliquer les divers plans d’accompagnement du débarquement à venir. Au plan départemental, depuis novembre 1943, fonctionne un Comité Départemental de Libération qui réunit, dans ses composantes, les diverses tendances résistantes et politiques, dans le but de préparer la dévolution des pouvoirs. En théorie, aussi, les forces armées de la Résistance sont tenues de se réunir dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Le problème est que depuis l’été 1943, les diverses organisations ont subi les coups durs de la répression. L’OCM, Voix du Nord, Libé-Nord, la résistance communiste dont la deuxième génération a été éprouvée, WO, ont été durement touchés. Le printemps 1944 est donc à l’heure de la reconstruction dans l’urgence. Les mouvements vont puiser dans les survivants, les savoir-faire, mais aussi dans la volonté de celles et ceux à s’engager dans la lutte finale. Ainsi ils pourront reconstituer leurs structures et leurs forces. Ce qui prévaut alors, à côté du renseignement toujours essentiel, mais porté par des organisations spéciales telles Éleuthère ou Hunter-Nord, c’est l’organisation sur un mode militaire. Au sein des mouvements, les groupes s’organisent en compagnies, en bataillons, en corps francs, en attendant impatiemment les consignes venues de Londres.

Cette résistance dûment recadrée, à la recherche constante d’armes, entre en action à l’annonce du débarquement. Des corps francs tentent de gagner les « maquis », rares dans un département où la présence de l’occupant reste trop forte, mais d’aucuns rejoindront les Ardennes, au prix souvent le plus lourd. L’été 1944 connaît une recrudescence de l’action subversive, par des sabotages qui s’inscrivent, pour la plupart, dans la logique des plans prévus par les services londoniens, alliés ou gaullistes, et sous le commandement, plus ou moins efficace et lointain, des états-majors FFI, régional et départemental.

La Résistance au cœur de la Libération

Les FFI accompagnent les forces alliées dans la libération-éclair du département. Au grand jour, ils harcèlent les Allemands en retraite dans des opérations de guérilla où ils ne sont pas toujours en force suffisante. Ils éclairent les avant-gardes alliées, nettoient le  territoire à la suite du passage de libérateurs. Leurs corps francs participent aux derniers combats sur le littoral, pour la libération des ports de Boulogne et de Calais. Enfin, la Résistance au grand jour s’empare du pouvoir départemental et local et restaure la légalité républicaine, dans l’obédience du Gouvernement Provosoire de la République Française dirigé par le général de Gaulle. Les problèmes qu’elle a à gérer sont innombrables : elle épure bien sûr, car il le faut, mais elle assure aussi les tâches du quotidien dont le ravitaillement n’est pas la moindre. Une part des FFI rejoint dès l’automne l’armée française en voie de reconstruction et participe ainsi aux dernières batailles, tant dans la libération des ports et de l’Alsace que de la campagne victorieuse en Allemagne et en Autriche.

L’histoire de la Résistance dans notre département n’a certes pas été un long fleuve tranquille et on ne saurait oublier qu’elle a été l’œuvre de femmes et d’hommes, de tous âges, de toutes conditions, de tous milieux, de toutes obédiences, de toutes motivations, qui a un moment ou à un autre ont pris, pour s’être engagés dans ce combat, un risque vital. Les 280 fusillés, les 298 FFI tués au combat, les 8200 déportés et internés dont 1500 ne sont pas rentrés témoignent de l’ampleur de leur sacrifice et du prix de la souffrance subie. On compte peut-être plus de 15.000 résistants dans notre département, au vu des dossiers qui sont conservés dans nos archives. Pour des raisons diverses et parfois compréhensives, tous n’ont pas obtenu la carte de combattant volontaire de la résistance, mais les historiens ne peuvent se satisfaire de ce critère insuffisant, et tous ces dossiers qui racontent le parcours d’hommes et de femmes méritent d’être considérés. Cette évocation est un travail de longue haleine, mais certainement nécessaire : il s’agit de faire prendre conscience à nos lecteurs de la grandeur de ces femmes et de ces hommes, souvent modestes, qui sont allés pour nombre d’entre eux jusqu’au sacrifice de leur vie, ou ont subi les mille misères de l’enfer concentrationnaire pour la sauvegarde de nos valeurs essentielles, et ont ainsi payé durement le prix de notre liberté.

Nous voulons évoquer avant tout la diversité du monde de la Résistance. À côté de certaines grandes figures, presque incontournables, les plus modestes, les obscurs, les sans-grades ne peuvent être oubliés, engagés précocement ou ayant rejoint la résistance dans les derniers instants, certains l’ayant payé de leur vie au moment de la Libération. La variété des motivations de l’entrée en résistance est incontestable : on devient résistant(e) par réflexe, par patriotisme, par sensibilisation au message gaulliste avec pour but de faire quelque chose, de créer ou rejoindre une organisation souvent difficile à trouver et quand celle-ci se présente, on lui apporte foi et enthousiasme, par réponse aux sollicitations quand la Résistance se construit et recrute des femmes et des hommes, par conviction religieuse, politique, humaniste, … à ces diverses préoccupations répond le moment de l’engagement ; il est des résistants précoces ; il est des résistants qui s’impliquent au moment de la Résistance constituée et mûrie ; il est aussi des résistants tardifs qui s’engagent dans les derniers mois, dans les dernières semaines. Toutes ces considérations sont à prendre en compte, autant que les conditions de sexe et d’âge. Des résistantes et des résistants ont œuvré dans le Pas-de-Calais, à travers sa diversité géographique, sa marqueterie de petites régions bien spécifiques (industrie, bassin minier, port, zones rurales, villes), ce qui explique des comportements résistants fort variés. D’autres ont agi sous d’autres cieux ; ils ont formé les gros bataillons de la France libre ou se sont expatriés vers d’autres régions de la France. Certains encore sont venus de loin sur notre sol pour continuer le combat et parfois pour y mourir.  

Tel quel, ce site, en dépit de son caractère que certains pourront trouver insuffisant, peut être utile à ceux qui l’utiliseront. On comprend qu’il se veut aussi un appel à contribution tant le sujet est vaste, l’entreprise ardue, longue, semée d’embûches. Mais on l’aura compris, les acteurs, grands et petits, de cette histoire remarquable et essentielle à plus d’un titre, le méritent largement.

René Lesage